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Swatch et Omega : une opération marketing « Ok Boomer » ?

A l’heure où le Covid a mis en évidence les difficultés pour les chaînes de production d’assurer une distribution au niveau global, il est étonnant que l’on s’extasie encore devant des foules faisant la queue pour obtenir une montre. Dans un monde où la pénurie de biens va devenir malheureusement une réalité, rappeler que les marques ont utilisé la rareté ces dernières décennies de globalisation frénétique comme argument marketing, tient d’un manque de vista assez incroyable.

Un co-branding improbable
Depuis les années 80, les groupes horlogers n’ont eu de cesse d’acheter des manufactures afin de diversifier leurs portefeuilles de marques et ainsi toucher tous les segments de consommateurs. Chez Swatch Group, cela s’est notamment traduit par le repositionnement de Longines à destination d’un public féminin, là où Omega devenait la montre du mâle Alpha le plus célèbre de la planète : James Bond. Ces Yo-Yo marketing ont nécessité d’importantes campagnes de communication pour assoir la notoriété de chaque marque dans la case qui lui était attribuée. Les groupes industriels ou financiers, nouveaux propriétaires de ces manufactures, n’ont pas lésiné sur les moyens et c’est ainsi que l’horlogerie a connu ses grandes heures publicitaires. Les salons et le sponsoring d’événements de marques ou culturels finirent par faire croire à toute cette industrie que rien ne pourrait arrêter leurs ventes et leurs marges, surtout dans un monde où de nouveaux marchés ne cessaient d’apparaître.

Rien ne devait changer jusqu’à ce la montre connectée, une « digital native », vienne mettre en avant un autre modèle de production, de distribution et de communication. Co-création, vente en ligne et création de communautés ont fait désormais face au vieux modèle industriel reposant sur des grossistes et des détaillants qui vendent en direct. Avec des marques qui ne connaissent pas leurs propres clients.  Pour les maisons traditionnelles, la verticalisation pose de vrais défis. Comme l’explique Thomas Baillod, fondateur de la marque BA111od dans la conférence qu’il donnera lors de Marketing.22, les marques traditionnelles sont dans la situation du mari qui vit avec sa femme mais couche avec la voisine. » Car comment développer sérieusement une distribution en ligne quand vous dépendez encore de distributeurs et de revendeurs qui savent que vous n’avez qu’un souhait : les quitter ?

Et c’est dans cette tension entre deux logiques industrielles/marketing et après deux années de Covid, où bien des magasins ont été fermés sur la planète et où les salons et les évents ont été tous annulés, que Swatch group arrive avec un coup marketing : le co-branding entre deux marques soeurs. Malgré un super storytelling nous expliquant que l’on vous offre la lune à un prix modique, les consommateurs ont rapidement compris que l’on pouvait s’offrir une Omega au prix d’une Swatch… et que pour tirer parti de cette offre, il fallait faire partie des premiers acquéreurs pour profiter du marché gris. Car, la revente était la seule bonne nouvelle de  cette opération puisque cette nouvelle gamme sera produite en mode industriel et d’ici quelques semaines, ce produit sera devenu tellement mainstream qu’il n’aura plus aucune valeur de revente.

En résumé, point d’innovation technique permettant de créer de la valeur. On reprend un territoire de communication (la conquête de la lune) associée à la marque Omega pour remettre la machine Swatch, en mal d’inspiration, en marche. Même la campagne média avec ces pleines pages dans la presse a un goût d’autrefois.

D’un point de vue marketing c’est juste de la folie. La règle est de monter en gamme (c’est ce que les marques horlogères n’ont cessé de faire) et non de déprécier ses produits. Doit-on comprendre qu’une Omega vaut une Swatch ? Cette opération nous alerte sur l’avenir des marques positionnées dans le moyen gamme. Le public n’en veut plus car elles sont trop chères et n’apportent plus de rêve. Il faut donc les ramener au niveau de la production de masse. Leur prix sera plus bas mais on en vendra plus et au final, on perdra moins. C’est ce que nous révèle cette opération qui finira, dans le meilleur des cas, dans les oubliettes.

Ce qu’il aurait fallu faire
Loin de ces techniques de Marketing « Ok Boomer », Swatch Group aurait dû et pu miser sur l’avenir. Et celui-ci est virtuel et plus digital et encore moins en magasin. Imaginez que Swatch Group ait lancé une collection NFT Omega qui aurait été proposée sur Sandbox ou Roblox ? Une collection dans le métavers offrant la possibilité aux communautés d’early adopters de co-créer des modèles. Cela aurait remis cette marque au coeur de l’innovation (ce qui était l’ADN premier d’Omega). Pour le Swatch Group, l’opération aurait été du win-win : 0 francs de production, 0 francs en communication (une conférence de presse aurait suffit de plan média). Et une source de revenus nouvelle provenant des communautés de GenZ qui ne demandent qu’à être conquises. Pour rappel, Gucci Garden Experience sur Roblox a engrangé quelque $3,5 millions.

A l’instar de James Bond qui a rendu l’âme alors même qu’il déclarait que « mourir pouvait attendre », il est temps que l’horlogerie se réinvente…

Victoria Marchand

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